Introduction
L’ouvrage fondateur de Kenneth Waltz, « Théorie de la politique internationale », a jeté les bases du paradigme néoréaliste dans la théorie des relations internationales. L’un des principes centraux de la théorie de Waltz est le concept d’anarchie du système international, qui a fait l’objet de nombreux débats et interprétations au sein des cercles universitaires. Cet article approfondit la perspective de Waltz sur l’anarchie, explorant ses nuances, ses implications et sa pertinence durable dans le domaine de la politique mondiale.
La conception de l’anarchie selon Waltz
Au cœur de la théorie de Waltz se trouve la notion d’anarchie, qu’il définit comme l’absence d’une autorité centralisée ou d’un organe directeur hiérarchique au sein du système international. Contrairement au domaine national, où un État souverain exerce un monopole sur l’usage légitime de la force, la scène internationale ne dispose pas d’un pouvoir global capable de réguler le comportement des États souverains (Waltz, 1979).
Waltz établit une distinction claire entre l’anarchie et la connotation populaire de chaos ou de désordre. Il postule plutôt que l’anarchie est un principe ordonnateur du système international, qui façonne le comportement et les interactions des États (Waltz, 1979). Dans cet environnement anarchique, les États agissent comme des acteurs rationnels et unitaires, animés par la poursuite de leurs intérêts personnels et par l’impératif de survie.
Le système d’auto-assistance
La conception de l’anarchie de Waltz donne naissance à un système d’auto-assistance, dans lequel les États doivent s’appuyer sur leurs propres capacités et ressources pour assurer leur sécurité et leur bien-être. L’absence d’une autorité supérieure pour trancher les différends ou appliquer les règles signifie que les États doivent continuellement évaluer leur pouvoir relatif et leurs capacités face aux menaces ou adversaires potentiels (Waltz, 1979).
Cette dynamique d’entraide favorise un environnement d’incertitude et de méfiance, dans la mesure où les États ne peuvent jamais être entièrement certains des intentions ou des actions futures des autres États. Par conséquent, les États doivent s’engager dans des calculs de puissance constante, en équilibrant leurs capacités avec celles de rivaux ou d’adversaires potentiels (Waltz, 1979).
Le dilemme de la sécurité
L’une des principales implications de la perspective anarchique de Waltz est le dilemme sécuritaire, une situation dans laquelle les mesures prises par les États pour renforcer leur sécurité compromettent par inadvertance la sécurité des autres, conduisant à une spirale d’insécurité et à un conflit potentiel (Jervis, 1978). Dans un système anarchique, où les États n’ont pas l’assurance des intentions bienveillantes des autres, les mesures défensives prises par un État peuvent être perçues comme menaçantes par les autres, les incitant à s’engager dans des contre-mesures, perpétuant ainsi un cycle de suspicion mutuelle et d’accumulation d’armes (Jervis, 1978).
Le dilemme sécuritaire met en évidence l’instabilité inhérente et le potentiel de conflit au sein d’un système international anarchique, alors que les États s’efforcent continuellement d’atteindre un équilibre des pouvoirs favorable et d’améliorer leur sécurité relative (Glaser, 1997).
L’équilibre des pouvoirs
La théorie de Waltz met l’accent sur le concept d’équilibre des pouvoirs, qu’il considère comme un mécanisme crucial pour maintenir la stabilité et l’ordre au sein d’un système international anarchique (Waltz, 1979). Selon Waltz, l’équilibre des pouvoirs fonctionne comme un mécanisme d’autorégulation par lequel les États s’alignent ou forment des alliances pour contrebalancer le pouvoir des hégémonies potentielles ou des États dominants (Waltz, 1979).
Ce comportement d’équilibrage sert de moyen de dissuasion contre une agression ou un expansionnisme incontrôlé, dans la mesure où les États reconnaissent les conséquences potentielles d’une perturbation de l’équilibre des pouvoirs existant (Waltz, 1979). Cependant, Waltz reconnaît que l’équilibre des pouvoirs est un mécanisme imparfait et précaire, susceptible de donner lieu à des erreurs de calcul, à des changements dans les capacités relatives et à la formation d’alliances instables ou peu fiables (Waltz, 1979).
Les niveaux d’analyse
La théorie de Waltz introduit une distinction critique entre le niveau d’analyse systémique et le niveau d’analyse unitaire (état) (Waltz, 1979). Il soutient que la nature anarchique du système international, plutôt que les caractéristiques ou motivations inhérentes des États individuels, est le principal déterminant du comportement des États (Waltz, 1979).
Cette perspective systémique remet en question l’approche réductionniste consistant à analyser les relations internationales uniquement à travers le prisme de la politique intérieure, de l’idéologie ou de la personnalité des dirigeants individuels (Waltz, 1979). Waltz soutient plutôt que les contraintes et les incitations imposées par la structure anarchique du système international façonnent et conditionnent le comportement des États, quels que soient leurs caractéristiques internes ou leurs types de régime (Waltz, 1979).
Critiques et contre-arguments
Bien que la perspective anarchique de Waltz ait profondément influencé le domaine des relations internationales, elle a également fait face à d’importantes critiques et contre-arguments de la part de diverses perspectives théoriques.
Les constructivistes, par exemple, remettent en question la notion d’anarchie en tant que réalité objective, arguant qu’il s’agit d’un phénomène socialement construit et intersubjectif (Wendt, 1992). Ils soutiennent que l’anarchie est ce que les États en font et que ses effets sur le comportement de l’État dépendent des compréhensions et des normes partagées qui émergent des interactions sociales (Wendt, 1992).
Les libéraux, quant à eux, soulignent le potentiel de coopération et l’émergence d’institutions et de régimes internationaux pour atténuer les effets de l’anarchie (Keohane, 1984). Ils soutiennent que les États peuvent surmonter le dilemme sécuritaire et obtenir des résultats mutuellement bénéfiques grâce à des mécanismes tels que les organisations internationales, l’interdépendance économique et la promotion des normes démocratiques (Keohane, 1984).
En outre, des critiques ont remis en question la validité de l’hypothèse de l’acteur unitaire qui sous-tend la théorie de Waltz, arguant que les États ne sont pas des entités monolithiques mais plutôt des organisations complexes influencées par la politique intérieure, les intérêts bureaucratiques et les processus de négociation internes (Allison et Zelikow, 1999).
Le réalisme et sa pertinence contemporaine
Malgré ces critiques, la perspective anarchique de Waltz reste un paradigme fondateur et influent au sein de la tradition réaliste de la théorie des relations internationales. Sa pertinence durable vient de sa capacité à fournir une explication parcimonieuse et convaincante des schémas durables de concurrence, de conflit et de luttes de pouvoir qui caractérisent le système international.
Dans le paysage mondial contemporain, marqué par la résurgence des rivalités entre grandes puissances, la prolifération des armes nucléaires et la menace persistante de conflit interétatique, les idées de Waltz sur la dynamique de l’anarchie et l’équilibre des pouvoirs restent très pertinentes (Mearsheimer, 2014). Les tensions persistantes entre les grandes puissances, comme les États-Unis, la Chine et la Russie, peuvent être considérées à travers le prisme de la théorie de Waltz, alors que ces États s’engagent dans l’équilibrage des pouvoirs, la formation d’alliances et la posture stratégique pour maintenir leurs positions relatives au sein du monde anarchique. système.
De plus, les défis posés par les acteurs non étatiques, tels que les organisations terroristes et les réseaux criminels transnationaux, peuvent être compris comme des manifestations de l’insécurité inhérente et de l’absence d’autorité centrale au sein du système international (Byman, 2005). Ces acteurs exploitent les vulnérabilités et les lacunes de gouvernance au sein de l’environnement anarchique, soulignant encore davantage la pertinence de la perspective de Waltz dans les affaires mondiales contemporaines.
Conclusion
La perspective de Kenneth Waltz sur l’anarchie du système international continue de façonner le discours et l’analyse dans le domaine des relations internationales. Bien que sa théorie ait fait l’objet de critiques et de défis de la part de paradigmes alternatifs, ses idées fondamentales sur la dynamique de l’anarchie, le dilemme sécuritaire et l’équilibre des pouvoirs restent inestimables pour comprendre les modèles durables de conflits, de concurrence et de luttes de pouvoir qui définissent la politique mondiale.
Alors que le système international navigue dans les complexités du XXIe siècle, la perspective anarchique de Waltz offre un cadre solide et durable pour analyser le comportement des États, la formation d’alliances et la quête continue de sécurité et de survie dans un environnement anarchique. Bien qu’aucune théorie ne puisse à elle seule rendre compte de la nature multiforme des relations internationales, les contributions de Waltz restent la pierre angulaire de la tradition réaliste, fournissant une lentille à travers laquelle les universitaires et les décideurs politiques peuvent comprendre les défis et les impératifs intemporels qui façonnent la conduite des États en l’absence d’une politique mondiale. Léviathan.
Les références:
Allison, GT et Zelikow, P. (1999). Essence de la décision : Expliquer la crise des missiles cubains (2e éd.). Longman.
Byman, D. (2005). Connexions mortelles : États qui parrainent le terrorisme. La presse de l’Universite de Cambridge.
Glaser, CL (1997). Le dilemme de sécurité revisité. Politique mondiale, 50(1), 171-201.
En ligneJervis, R. (1978). Coopération face au dilemme sécuritaire. Politique mondiale, 30(2), 167-214.
Keohane, RO (1984). Après l’hégémonie : coopération et discorde dans l’économie politique mondiale. Presse de l’Université de Princeton.
Mearsheimer, JJ (2014). La tragédie de la politique des grandes puissances (édition mise à jour). WW Norton & Compagnie.
Valse, KN (1979). Théorie de la politique internationale. Addison-Wesley.