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L’économie mondiale est touchée

Le virus est-il plus dangereux pour l’économie que pour les humains ? Daniel Cohen décrypte comment l’onde de choc partie de la Chine va impacter l’activité en Europe. Et remettre la mondialisation en question.

Est-ce que le coronavirus peut plonger le monde dans la récession ?

C’est encore trop tôt pour le dire. Mais il va certainement provoquer une baisse significative de la croissance mondiale. Le FMI a fait une estimation beaucoup trop optimiste du ralentissement attendu, de 0,1 %, de la croissance. En 2003, le virus du Sras avait entraîné un ralentissement de 0,2 %, or il y a toutes les raisons de multiplier ce chiffre par un facteur assez important.

Pourquoi ?

D’abord parce que la taille de la Chine a été multipliée par quatre par rapport à 2003. À choc équivalent pour la Chine, les effets sont beaucoup plus significatifs pour les autres pays. Bien que le taux de mortalité du coronavirus soit moindre, le nombre de morts est déjà trois fois supérieur et le nombre de gens contaminés dix fois supérieur à celui du Sras. Or c’est la mise en quarantaine de populations très importantes qui a un impact économique et déclenche une rupture de la croissance.

Quel sera son effet sur la Chine ?

Avec le Sras, elle avait perdu 1 point de PIB. Cette fois, ce sera au minimum le double. Au début des années 2000, la Chine était en phase d’expansion. Elle bénéficiait à plein du fait d’être devenue membre de l’OMC. Il y avait un formidable boom des exportations chinoises. Le Sras était donc apparu comme un caillou sur le chemin d’une forte croissance. Au début de 2020, la Chine était déjà entrée dans une phase de ralentissement. Sous le seul effet de la guerre commerciale avec Donald Trump, elle passait sous la barre des 6 % de croissance. Elle peut donc tout à fait atterrir sous la barre des 4 %, voire des 3 %.

« Nous sommes devenus “Chine-dépendants” »

Sommes-nous entre-temps devenus plus dépendants de la Chine ?

Nous sommes en effet « Chine-dépendants ». On a assisté ces deux dernières décennies à ce que les économistes appellent une « désintégration verticale de la chaîne de valeur ». Une marchandise industrielle fait désormais l’objet d’un découpage aux quatre coins du monde de sa production. Les Chinois participent, à un point ou à un autre de la chaîne de valeur, à la fabrication d’un très grand nombre de produits.

Cela augmente-t-il les risques de contagion pour l’économie mondiale ?

L’économie mondiale est touchée simultanément du côté de l’offre et du côté de la demande, et c’est nouveau. L’offre est désorganisée, certains secteurs ne peuvent plus produire. C’est le cas pour Apple, qui ne peut plus fabriquer ses iPhone. Pour ce qui est de la demande, la Chine est devenue un très grand marché dans plusieurs domaines. Elle représente un tiers du marché automobile mondial, ce qui va par exemple fortement impacter l’Allemagne. En France, ce sont les recettes du tourisme qui vont être touchées. Pour les hôtels qui s’étaient habitués à accueillir les Chinois, la perte sera réelle.

Quelle peut être l’ampleur de l’impact global sur l’économie européenne ?

Par rapport à un choc chinois qui pourrait à lui seul représenter 1 point de croissance en moins pour l’économie mondiale, tout peut être démultiplié si le virus devait frapper toute l’Europe, comme il a commencé à le faire en Italie. Il faut prier pour que ça reste une exception. Ce que le confinement de Wuhan a provoqué en Chine se reproduirait plus près de nous avec une forte intensité si tout devait s’arrêter un à deux mois dans des régions entières.

L’Europe part d’une croissance beaucoup plus basse que la Chine…

Comme la Chine, les exportateurs européens ont subi l’année dernière le choc de la guerre commerciale de Trump. La crise chinoise va s’y ajouter. Et nos économies ne sont pas florissantes. Elles allaient elles aussi beaucoup mieux à l’époque du Sras, au début des années 2000. Quand les corps sont fragiles, ils sont plus vulnérables à la maladie. C’est pareil pour les économies.

Que doit-on redouter pour la croissance française ?

Elle sera moins touchée que l’Allemagne par le ralentissement international, mais elle sera certainement en deçà de 1 %. Ça dépendra de l’impact du virus dans certaines régions françaises.

Que faire si la situation se dégrade ?

C’est le problème central : on n’a plus de munitions en matière de politique monétaire. Les taux sont déjà négatifs, et je ne vois pas ce que Christine Lagarde va pouvoir faire de plus à la tête de la BCE. Ce qui nous ramène à la politique budgétaire. La France a déjà relâché son effort de consolidation depuis la crise des Gilets jaunes. Il faudra faire plus si la crise doit s’intensifier. Mais les regards se portent surtout sur l’Allemagne. Elle a été directement touchée par la guerre commerciale de Trump, elle va être la première victime de cette crise chinoise. Son économie est essoufflée et elle va prendre une nouvelle gifle à un an des élections. Or elle a des excédents commerciaux énormes et des excédents budgétaires à ne plus savoir qu’en faire…

Mais l’Allemagne a toujours refusé de relancer l’économie européenne.

Les prêtres de la science économique se tournent vers elle en la suppliant d’agir. Jusqu’à présent, elle pouvait dire : pourquoi devrais-je changer de politique alors que ma croissance est bonne et que je n’ai pas de chômage ? Pour vous faire plaisir ? La situation est différente à présent. Ce serait de son intérêt propre de mener une politique de relance. Si elle devait rester accrochée à son objectif de zéro déficit, ce serait la preuve qu’elle est dans l’obsession idéologique, un très mauvais signal pour une Europe confrontée aux eurosceptiques.

Est-ce que cette crise économique peut déboucher sur un krach ?

Le diagnostic selon lequel les actions étaient au début de l’année à des niveaux très élevés est indiscutable. Mais la cause de ce phénomène, ce sont les taux d’intérêt très, très bas. C’est un théorème simple : quand les taux baissent, le prix des actifs monte car les investisseurs cherchent du rendement. La bonne nouvelle, c’est que les taux d’intérêt ne vont pas remonter, c’est désormais certain. Les taux américains à dix ans flirtaient avec les 3 % il y a deux ans, ils sont redescendus à 1,3 ou 1,4 %. Mais l’envers de la situation est qu’ils auront du mal à baisser davantage. C’est en partie pourquoi la Bourse a dévissé cette semaine. Les Banques centrales sont démunies…

Le comportement des acteurs économiques, poussés par la peur, ne risque-t-il pas d’accentuer la crise ?

Effectivement, l’incertitude est toujours mauvaise. Par exemple, je ne suis pas sûr que les gens aient envie de faire un grand voyage à l’étranger en ce moment. Mais pour l’instant, dans les pays qui ne sont pas directement concernés, je n’ai pas l’impression que les populations aient fortement modifié leurs intentions d’achat.

Il semble que l’épidémie se propage à toute l’Europe.

Nous sommes en effet peut-être, comme le disait Nassim Nicolas Taleb, l’auteur du livre Le Cygne noir, à la veille d’un processus qui peut se démultiplier. C’est ce qui va se jouer dès cette semaine. Ce que l’on doit redouter, c’est que des foyers s’allument un peu partout, à l’instar de ce qui s’est passé en Italie.

« L’incertitude est toujours mauvaise »

Que pensez-vous de la tentation de confiner et de fermer les frontières ?

La fermeture des frontières est évidemment un instrument qui doit pouvoir être actionné si nécessaire. Mais ce sont surtout des zones internes à chaque pays qui vont devoir être confinées. Et il faut avoir le culot d’annuler les grands rassemblements humains comme les salons professionnels ou les compétitions sportives. Annuler un match de foot peut avoir plus d’importance que de fermer une frontière.

L’économie zéro stock pourra-t-elle redémarrer comme si de rien n’était ?

Le monde va sans doute changer. C’est la deuxième crise à laquelle on est exposés après celle provoquée par la guerre commerciale de Trump. Celle-ci a déjà convaincu les Chinois qu’ils devaient acquérir une plus grande autonomie en matière technologique. Ils sont en train d’apprendre à se passer des États-Unis. Ils ont compris qu’il suffit d’un fou à la tête de la Maison-Blanche pour dérégler le fonctionnement de leur économie. Évidemment, ça dépendra beaucoup de la réélection ou non du président américain. S’il est reconduit, la démondialisation commencera par la Chine et se propagera à l’Europe. On peut noter à cet égard que l’un des effets de la crise sera de ralentir aussi l’économie américaine, et notamment son secteur industriel. Cela priverait Trump de l’un de ses arguments, une économie florissante, et notamment dans les swing states industriels qu’il avait ravis aux démocrates…

Les entreprises vont-elles renoncer à produire dans des pays pas chers ?

On a passé le pic de la mondialisation. Les entreprises vont vouloir raccourcir leur chaîne de valeur. Elles vont maintenant réfléchir à deux fois avant de délocaliser la gestion informatique de leur comptabilité en Inde ou de mettre toutes leurs données dans des clouds gérés par des entreprises étrangères.

Faut-il se déshabituer de la Chine ?

De la Chine peut-être, de l’Asie c’est moins sûr. De nombreux pays comme le Cambodge ou le Vietnam sont prêts à prendre la relève. La Chine va elle-même vouloir se déshabituer des États-Unis. Peut-être sommes-nous en train d’assister aux premières escarmouches d’un immense affrontement, qui va monter en puissance à l’échelle du siècle.

L’Europe devrait-elle relocaliser certaines activités industrielles ?

Les pays ne vont pas brutalement devenir autarciques, mais beaucoup de forces poussent vers une moindre mondialisation. La plus importante est qu’il faut urgemment prendre en compte l’empreinte carbone de tous ces échanges. Il va falloir faire cesser ces tours du monde que la chaîne de valeur fait parcourir aux marchandises, dont le coût en matière de carbone est disproportionné par rapport aux économies qu’elles sont censées apporter aux consommateurs.

BOURSE – 8,32% Baisse de l’indice CAC40 sur les cinq dernières séances

AÉRIEN – 4,70% Prévision de baisse du trafic aérien mondial en 2020

HÔTELLERIE 1,5 MILLION de chambres annulées à Milan du 24 février à fin avril ■

SAKHRI Mohamed

Je suis titulaire d'une licence en sciences politiques et relations internationales et d'un Master en études sécuritaire international avec une passion pour le développement web. Au cours de mes études, j'ai acquis une solide compréhension des principaux concepts politiques, des théories en relations internationales, des théories sécuritaires et stratégiques, ainsi que des outils et des méthodes de recherche utilisés dans ces domaines.

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