La Côte d’Ivoire connaît des tensions politiques résultant de l’escalade des affrontements entre le régime au pouvoir et l’opposition, notamment à la lumière du retour de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo sur la scène politique et de la création d’un nouveau parti politique pour se présenter aux élections présidentielles prévues pour l’année prochaine (2025). La situation a été exacerbée par le soutien rapide que Gbagbo a obtenu de divers partis politiques d’opposition, ce qui a incité le régime du président Alassane Ouattara à mettre en œuvre plusieurs contre-mesures visant à faire pression sur l’opposition et à l’affaiblir. La gravité de ces développements est mise en évidence par les craintes d’une répétition de la crise qui a accompagné la dernière élection présidentielle d’octobre 2020, qui a vu de vastes manifestations contre la candidature de Ouattara à un troisième mandat. À l’époque, l’incapacité du parti au pouvoir et de l’opposition, qui avait formé un front politique dirigé par Henri Konan Bédié, à trouver un terrain d’entente sur les questions litigieuses a entraîné de violents affrontements dans tout le pays.
Indicateurs inquiétants
Plusieurs indicateurs laissent entrevoir un paysage politique tendu en Côte d’Ivoire à l’approche des élections présidentielles prévues en 2025, ce qui s’ajoute aux défis auxquels le président ivoirien est confronté. Ces indicateurs peuvent être décrits comme suit :
Formation d’alliances d’opposition contre le régime de Ouattara : C’est ce qui s’est passé lorsque quatre partis politiques et une plateforme de la société civile ont annoncé, environ 16 mois avant les élections présidentielles, la formation d’une alliance sans précédent contre le régime du président Alassane Ouattara. La nouvelle plateforme d’opposition, baptisée « Rassemblement pour la transition pacifique en Côte d’Ivoire » (RAP-CI), a été officiellement présentée le 12 juin 2024 à Abidjan lors d’une conférence de presse qui a réuni des personnalités clés de la politique ivoirienne, dont le leader du Front populaire ivoirien et ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, l’ancienne Première Dame et leader du Mouvement des générations capables Simone Gbagbo, et l’ancien président Laurent Gbagbo, qui a dirigé le pays de 2000 à 2011.
Élargissement de la base de l’opposition : Plusieurs nouveaux prétendants ont émergé pour défier le président Ouattara, dont Tidjane Thiam, l’ancien CEO du Credit Suisse, devenu chef du Parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) en décembre 2023 après le décès de son ancien leader Henri Konan Bédié en août 2023. Le parti, qui était autrefois le seul parti légal du pays et qui a gouverné pendant des décennies après son indépendance de la France en 1960, espère revenir au pouvoir par l’intermédiaire de son candidat après l’avoir perdu lors d’un coup d’État en 1999. En outre, le retour de l’ancien président Laurent Gbagbo dans la politique ivoirienne après son acquittement en 2019 par la Cour pénale internationale des accusations de crimes de guerre liés à la crise postélectorale de 2010-2011 et son retour en Côte d’Ivoire en 2021 signale son intention de se présenter aux élections présidentielles de 2025. Il a fondé un nouveau parti, le Parti du peuple africain – Côte d’Ivoire (PPA-CI), en 2021. Bien que le président Ouattara lui ait accordé une grâce présidentielle en 2022 pour une peine de 20 ans de prison prononcée en 2018 pour son « braquage » présumé de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en 2011, la condamnation n’a pas été annulée. Cela l’empêche légalement de se présenter aux élections. Après une réunion du Comité central en mars 2024, le porte-parole du parti de Gbagbo, Katinan Koné, a annoncé que Gbagbo avait accepté de diriger le parti lors des élections présidentielles de 2025. Le parti a également déclaré qu’il chercherait à faire réinscrire le nom de Gbagbo sur les listes électorales après sa radiation à la suite de la condamnation de 2018.
La popularité persistante de Gbagbo : Malgré sa longue absence de la politique active, Laurent Gbagbo a conservé une base substantielle de partisans. Cela peut être attribué à plusieurs facteurs, notamment sa rupture symbolique avec l’héritage colonial de la Côte d’Ivoire, qui l’a rendu populaire auprès des jeunes générations, son opposition au régime du parti unique établi par Félix Houphouët-Boigny après l’indépendance et son association avec l’établissement d’une démocratie multipartite. En outre, Gbagbo a toujours représenté les préoccupations des classes inférieures et des régions sous-développées, y compris sa ville natale dans le sud-ouest et certaines parties de la région frontalière du Libéria. Son éloquence et sa capacité à rallier les sentiments nationalistes dans un pays comptant une importante population d’immigrants d’Afrique de l’Ouest ont encore renforcé son soutien. Beaucoup de ses disciples les plus fidèles viennent de milieux évangéliques, le considérant comme une figure chrétienne dont l’acquittement et le retour ont été considérés comme une intervention divine. La popularité de Gbagbo s’est manifestée par l’accueil enthousiaste qu’il a reçu à son retour en Côte d’Ivoire en 2021, notamment dans son village, dans les quartiers populaires d’Abidjan, et par la réponse positive du Front national africain (FPP), dirigé par Dabi Nogbo, à son appel à l’unité de l’opposition en juillet 2024 lors de sa première allocution publique depuis l’annonce de sa candidature aux élections présidentielles de 2025. Le FPP a exhorté les citoyens ivoiriens à se joindre à cet effort pour le développement et la libération de la Côte d’Ivoire du régime au pouvoir. Des représentants du PPA-CI à Paris ont également organisé une grande manifestation le 13 avril 2024, exigeant que le nom de Laurent Gbagbo soit réinscrit sur les listes électorales.
L’opposition persistante du Front populaire ivoirien : Malgré la signature d’un accord de partenariat avec le parti au pouvoir en mai 2023 visant à promouvoir la réconciliation nationale, la cohésion sociale et la démocratie, le front d’opposition dirigé par l’ancien Premier ministre Pascal N’Guessan a intensifié ses critiques à l’égard du gouvernement à l’approche des élections présidentielles de 2025. Au début du mois d’avril 2024, N’Guessan a annoncé son intention de se présenter aux prochaines élections. N’Guessan, un fervent critique du président Ouattara, a refusé de reconnaître la réélection controversée de Ouattara pour un troisième mandat lors des élections présidentielles de 2020 et a participé à la proclamation d’un « Conseil national de transition » pour remplacer le régime au pouvoir. Cela a conduit à son arrestation en novembre 2020, à sa détention pendant près de deux mois et à son procès avec d’autres membres de l’opposition pour « complot contre l’autorité de l’État », « rébellion », « assassinat » et « actes de terrorisme ».
Accusations d’approbation d’une base militaire américaine : L’opposition ivoirienne a condamné l’approbation par le gouvernement du redéploiement des forces militaires américaines en Côte d’Ivoire après leur retrait du Niger, sans le consentement préalable du Parlement. L’opposition a accusé le gouvernement d’engager des négociations secrètes pour établir cette future base américaine à Odienné, dans le nord-ouest du pays, dans un contexte géopolitique régional tendu, affirmant que cette décision porterait atteinte à la sécurité nationale et régionale ainsi qu’à la souveraineté de l’État. Des rapports suggèrent également que l’Allemagne envisage de transférer en Côte d’Ivoire toutes ses forces précédemment stationnées au Niger. Bien que les détails officiels concernant la taille, le personnel et le calendrier opérationnel de la base américaine ne soient pas encore connus, des rapports récents de Jeune Afrique indiquent que la base accueillera non seulement des soldats américains, mais aussi du matériel militaire avancé, y compris des drones de reconnaissance. Malgré sa situation à l’intérieur des terres, Odienné offre un site stratégique pour la surveillance et l’intervention en Afrique de l’Ouest.
Tensions croissantes avec les voisins régionaux : Les relations de la Côte d’Ivoire avec le Mali et le Burkina Faso voisins se sont détériorées. Les relations avec le Mali se sont détériorées après l’arrestation d’une cinquantaine de soldats ivoiriens par le régime en juillet 2022, les accusant de déstabiliser le pays alors qu’ils soutenaient une unité de mission de l’ONU. Bien que les soldats aient été libérés au début de l’année 2023, les relations entre les deux pays restent instables. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 14 août 2024, l’ancien responsable militaire et membre influent du Conseil national de transition du Mali, Minkoro Kané, a accusé le président ivoirien Alassane Ouattara et le président béninois Patrice Talon de se soumettre aux intérêts français et de conspirer contre le Mali et le Sahel. Il a appelé à des stratégies pour les éliminer en raison de leurs tentatives de renverser les dirigeants du Mali. Concernant le Burkina Faso, le leader de la transition Ibrahim Traoré a accusé la Côte d’Ivoire, lors d’une réunion avec les forces politiques en juillet 2024, d’avoir mis en place un centre d’opérations à Abidjan visant à déstabiliser le Burkina Faso et à soutenir les groupes armés. Ces allégations surviennent dans un contexte d’escalade des tensions entre les deux pays, à la suite d’un échange de coups de feu entre des soldats des deux pays dans une zone frontalière en mars 2024. Des informations indiquent également qu’un hélicoptère militaire ivoirien a essuyé des tirs d’un groupe de soldats burkinabés. Par la suite, plusieurs véhicules militaires ivoiriens, dont des véhicules légers et blindés ainsi qu’une ambulance, sont apparus à la frontière avec le Burkina Faso le 16 mai 2024, exacerbant les tensions entre les deux pays. L’armée ivoirienne n’a pas officiellement clarifié la situation, mais le déploiement a été perçu par les autorités burkinabè comme une « nouvelle provocation ». Une source proche de l’armée ivoirienne a confirmé que les véhicules n’avaient pas franchi la frontière.
Questions sociales internes : L’augmentation du coût de la vie et de la dette publique est en tête de liste des défis sociaux. Selon les données du Fonds monétaire international, la dette publique brute de la Côte d’Ivoire en pourcentage du PIB a atteint environ 57,1 % en 2023. En mars 2024, Ahua Don Mello, vice-président exécutif de la PPA-CI, a critiqué la dette croissante du gouvernement d’environ 25 000 milliards de francs CFA, notant que seuls 3 000 milliards avaient été investis dans les infrastructures, représentant environ 15 % de la dette totale. Il a appelé le gouvernement à clarifier ses dépenses, soulignant la gravité de cette situation qui compromet les réelles opportunités de développement. En outre, les taux de corruption et de pots-de-vin restent élevés dans le pays, comme le soulignent les rapports annuels de Transparency International. En mars 2023, l’organisation de la société civile SOS Justice a révélé que la police, le secteur de la justice, l’éducation et l’administration publique étaient les institutions les plus corrompues de Côte d’Ivoire, le pot-de-vin moyen s’élevant à environ 140 000 francs CFA, soit environ 230 dollars. Cela a encore creusé les inégalités sociales, alimentant le ressentiment envers le gouvernement.
La Santé du Président ivoirien : L’état de santé d’Alassane Ouattara est une source d’inquiétude à l’approche des élections. Le président a maintenant 82 ans, et bien que la constitution ivoirienne impose une limite de deux mandats présidentiels, ses partisans avaient déjà fait pression pour qu’il soit réélu pour un troisième mandat en 2020, arguant que la nouvelle constitution de 2016 avait remis les pendules à l’heure des mandats précédents. Par conséquent, Ouattara est susceptible de faire face à des défis similaires à ceux rencontrés par d’autres dirigeants africains qui sont restés au pouvoir malgré leur âge avancé. À ce titre, la situation politique dans le pays reste imprévisible, d’autant plus que la Côte d’Ivoire n’a pas de vice-présidence suite à la démission de son dernier vice-président, Daniel Kablan Duncan, en juillet 2020.
En conclusion :
Les pressions exercées sur le président Alassane Ouattara, en raison de l’escalade des problèmes politiques, économiques et sociaux, posent des défis importants à ses efforts pour préserver la stabilité politique et favoriser le développement économique en Côte d’Ivoire, d’autant plus que les forces d’opposition et les rivaux politiques devraient intensifier leurs exigences pour le départ du régime actuel. En tant que telles, ces pressions risquent de continuer à s’accroître dans les mois à venir, compliquant encore davantage le chemin vers un avenir pacifique et stable pour la Côte d’Ivoire.