Etudes politiques

L’impact du pluralisme politique sur l’intégration sociale dans les pays à sociétés multiples: la Belgique et l’Irak comme exemples

Cet article examine l’impact du pluralisme des partis, c’est-à-dire l’existence de plusieurs partis politiques représentant des idéologies et des intérêts différents, sur l’intégration sociétale dans les pays contenant plusieurs sociétés distinctes, telles que des groupes culturels, ethniques, linguistiques ou religieux. La Belgique et l’Irak sont analysés comme des cas d’école où la prolifération de partis politiques organisés selon des lignes sociétales a eu des conséquences majeures sur l’unité et la stabilité nationales.

L’article retrace les origines et l’évolution des systèmes multipartites dans les deux pays, en examinant comment certaines institutions politiques, comme la représentation proportionnelle, ont permis un paysage de partis fracturé. Les effets d’un pluralisme excessif des partis sur la capacité de gouverner, la cohésion sociale, le séparatisme, la consolidation démocratique et l’identité nationale sont explorés. Bien que le pluralisme des partis présente des avantages démocratiques, dans les sociétés divisées, il risque d’enraciner les divisions sociétales dans la sphère politique.

Le document conclut en proposant des réformes institutionnelles qui pourraient atténuer ces risques et favoriser une plus grande coopération intersociétale, telles que des changements de système électoral ou le fédéralisme.

Introduction

Dans de nombreux pays du monde, la population nationale est composée de multiples groupes sociétaux définis par des clivages tels que l’ethnicité, la langue, la religion ou la culture. Si la diversité peut enrichir les sociétés, les profondes divisions sociétales peuvent également poser des défis pour l’unité nationale, la stabilité démocratique et une gouvernance efficace. L’un des principaux facteurs influençant la dynamique entre les différents groupes sociaux d’un pays est le système de partis, en particulier le degré de pluralisme des partis présent.

 Le pluralisme des partis fait référence à l’existence de plusieurs partis politiques reflétant des idéologies, des intérêts et des identités sociétales distincts qui s’affrontent dans les arènes électorales et législatives (Huber, 2017). Des niveaux élevés de pluralisme des partis ont tendance à émerger dans les sociétés caractérisées par de nombreux clivages transversaux sans clivage dominant, car différents groupes se mobilisent dans des partis distincts pour défendre leurs intérêts dans la sphère politique. Cependant, dans les sociétés profondément divisées, le pluralisme des partis institutionnalise souvent les divisions sociétales au sein du système des partis, les différents partis représentant des groupes communautaires spécifiques (Chandra 2005). Alors qu’un pluralisme modéré permet la représentation d’intérêts divers, un pluralisme extrême fondé sur des lignes sociétales d’exclusion peut inhiber le compromis, la recherche de consensus et l’intégration sociétale au niveau national.

Cet article examine les conséquences d’un pluralisme élevé des partis sur l’intégration sociétale, la gouvernance et la stabilité démocratique dans des sociétés divisées à travers des études de cas de deux pays : la Belgique et l’Irak. La Belgique est une démocratie d’Europe occidentale avec de profondes divisions linguistiques entre néerlandophones flamands et francophones, ainsi que des tensions régionales. L’Irak est une démocratie en développement au Moyen-Orient avec d’importantes divisions ethno-sectaires entre les Arabes chiites, les Arabes sunnites et les Kurdes. Les deux pays ont connu une fragmentation extraordinaire du système de partis, les clivages sociétaux ayant été reproduits dans la prolifération de partis politiques identitaires. Pourtant, dans les deux cas, le pluralisme excessif des partis a été lié à l’instabilité politique, au séparatisme, au dysfonctionnement démocratique et à la polarisation de la société.

L’article commence par discuter du débat théorique sur le pluralisme des partis dans les sociétés divisées et décrit la méthodologie de recherche. Il propose ensuite des analyses historico-institutionnalistes de l’émergence et de l’évolution du multipartisme en Belgique et en Irak, en retraçant comment les partis identitaires se sont enracinés. Ensuite, il examine comment les systèmes de partis hautement pluralisés et identitaires ont eu un impact sur l’intégration sociétale et la gouvernance dans chaque pays à travers plusieurs dimensions. Enfin, il conclut en proposant des réformes institutionnelles telles que des changements dans le système électoral et une décentralisation fédéraliste qui pourraient atténuer les risques d’un pluralisme débridé et favoriser une plus grande coopération intersociétale. Les études de cas offrent un aperçu de la gestion de la diversité dans des sociétés profondément divisées grâce à l’ingénierie du système des partis.

Débat théorique sur le pluralisme des partis dans les sociétés divisées

Les chercheurs ont longtemps débattu du niveau optimal de pluralisme des partis dans les sociétés divisées contenant de multiples groupes sociaux. L’un d’entre eux soutient que des systèmes de partis très pluriels, qui représentent proportionnellement tous les principaux segments de la société, peuvent désamorcer les tensions en veillant à ce que tous les groupes aient voix au chapitre dans la sphère politique. En revanche, restreindre le pluralisme risque d’aliéner les groupes exclus et de susciter une opposition anti-système (Lijphart, 1977 ; Ordeshook et Shvetsova, 1994).

En outre, les systèmes multipartites obligent à la coopération entre les sociétés, ce qui favorise la modération et l’inclusion (Lijphart, 2004). Le point de vue opposé s’oppose à l’idée que les systèmes de partis très fragmentés institutionnalisent et exacerbent potentiellement les divisions sociales. Les partis fondés strictement sur les identités empêchent les alignements transversaux fondés sur des questions, inhibent le consensus et le compromis, et sapent les loyautés nationales globales (Horowitz, 1985, 1991).

Bien que les deux points de vue contiennent des idées valables, la dernière école fournit un cas plus convaincant sur les risques d’un pluralisme débridé dans des sociétés gravement divisées. Cet article adopte la perspective selon laquelle des systèmes de partis identitaires trop fragmentés peuvent miner la gouvernance démocratique et l’intégration nationale dans des sociétés plurielles, tout en reconnaissant la nécessité d’une représentation équitable de tous les principaux groupes sociaux.

Il examine deux études de cas en Belgique et en Irak où la fragmentation de la société a généré des systèmes de partis très pluralistes dominés par des partis ethnolinguistiques, religieux et sectaires. Dans les deux cas, le haut pluralisme des partis a reproduit les divisions de la société sur les plans électoral et parlementaire, empêchant l’émergence de partis nationaux globaux et stabilisant les coalitions politiques. La prolifération des partis identitaires a exacerbé la polarisation entre les groupes, affaibli l’autorité centrale de l’État et déclenché des crises de réforme qui ont menacé l’intégrité nationale.

Par conséquent, alors que le pluralisme des partis peut à juste titre représenter des intérêts divers, des systèmes très fragmentés structurés strictement selon des lignes sociétales comportent des risques dans des sociétés diverses. Les cas suggèrent que des réformes institutionnelles telles que des changements au système électoral pour encourager les partis agrégatifs et intercommunautaires pourraient être nécessaires pour atténuer le pluralisme excessif, tout en assurant une représentation inclusive..

Méthodologie

Cet article utilise des études de cas comparatives structurées et ciblées de la Belgique et de l’Irak pour évaluer une proposition théorique sur les effets de systèmes de partis hautement pluralisés et identitaires sur l’intégration sociétale et la gouvernance dans les sociétés divisées. La Belgique et l’Irak représentent des cas cruciaux où la variable indépendante, le pluralisme excessif des partis à base sociétale et les résultats d’intérêt sont clairement présents. La méthodologie de l’étude de cas combine une analyse interne de chaque pays avec une comparaison croisée structurée sur les dimensions de la fragmentation sociétale, de l’évolution du système des partis et des effets du pluralisme sur la stabilité, la démocratie et l’identité nationale.

Le traçage du processus est utilisé pour établir les mécanismes occasionnels hypothétiques liant le pluralisme illimité des partis à des résultats négatifs dans chaque cas. L’article utilise des sources primaires telles que les manifestes des partis et les résultats électoraux, ainsi que des sources universitaires secondaires sur le développement des partis, les systèmes électoraux, le fédéralisme et la démocratisation dans les deux pays. L’approche multi-méthodes combinant l’analyse historico-institutionnelle, la politique comparée et l’inférence causale fournit un levier pour évaluer l’impact des systèmes de partis hautement pluralisés et identitaires sur les sociétés divisées.

Origines des systèmes de partis fragmentés

Belgique

La Belgique a un système de partis profondément fragmenté résultant de la profonde fracture ethnolinguistique du pays entre les néerlandophones flamands (~60% de la population) concentrés dans la région nord de la Flandre, et les Wallons francophones (~40%) dans la région sud de la Wallonie autour de Bruxelles (Deschouwer 2009). La Belgique est passée à la démocratie à la fin du 19e siècle au milieu de l’ascension des partis politiques de masse, initialement dominés par le Parti catholique qui chevauchait la frontière linguistique.

Pourtant, le pluralisme sociétal s’est rapidement manifesté par la prolifération de partis idéologiques et régionaux distincts, en particulier parmi les Flamands les plus peuplés, favorisée par l’adoption de la représentation proportionnelle (RP) en 1899 qui a permis aux petits partis d’accéder au parlement (Deschouwer, 2012). Des tensions linguistiques ont éclaté dans l’entre-deux-guerres, avec des groupes flamands comme l’Union nationale flamande d’extrême droite qui réclamaient des droits linguistiques néerlandais et l’autonomie territoriale, tandis que certaines factions wallonnes prônaient l’annexion à la France (Witte et al. 2000).

Dans les années 1960, les trois principales familles politiques se sont scindées en deux partis, flamands et francophones, dont les chrétiens-démocrates, les libéraux et les socialistes, ce qui a creusé la fracture linguistique sur le plan électoral (Deschouwer, 2009). L’après-guerre voit également la montée en puissance de partis régionalistes en Flandre et en Wallonie favorables à la fédéralisation ou au séparatisme, comme l’Union populaire flamande et le Front démocratique francophone des francophones (Dewachter 1987). Les réformes constitutionnelles de 1970, 1980, 1988-1989 et 1993 ont progressivement délégué des pouvoirs aux parlements et gouvernements régionaux en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles, transformant la Belgique en une fédération complexe (Swenden et Jans 2006).

En parallèle, le système des partis belges s’est fragmenté davantage, les principaux partis flamands et francophones se divisant chacun en au moins deux factions qui s’affrontaient au sein de leurs propres communautés, tout en restant divisés par la langue au niveau national où ils ont formé des gouvernements de coalition (Deschouwer 2012).

Irak

L’Irak moderne a émergé de la domination ottomane dans les années 1920 en tant qu’État multiethnique et multiconfessionnel dirigé par les élites arabes sunnites, dominé par les musulmans arabes sunnites et chiites, mais avec une importante minorité kurde concentrée dans le nord. Sous la monarchie, les partis politiques se sont d’abord mobilisés selon des lignes idéologiques, claniques et ethniques (Visser 2005).

Les premiers partis les plus influents qui cherchaient à obtenir une plus grande autonomie étaient le Parti démocratique kurde (PDK) et le Parti communiste irakien bénéficiant d’un soutien multiethnique. La révolution de 1958 qui a renversé la monarchie a inauguré des décennies de régime baasiste autoritaire, marquées par l’exclusion et la répression systémiques de l’opposition kurde et chiite. Après le renversement de Saddam Hussein par les États-Unis en 2003, des élections démocratiques ont été organisées en vertu d’une nouvelle constitution consacrant les principes du partage du pouvoir ethno-sectaire et du fédéralisme (Dodge, 2014).

Mais le système de partis qui a émergé est devenu très fragmenté et polarisé selon des lignes ethniques et sectaires, rendu possible par le système électoral combinant le vote majoritaire par district à l’échelle provinciale et une seule circonscription nationale sous représentation proportionnelle (Larson, 2017). Des partis comme les partis islamistes chiites nouvellement montés, le PDK kurde et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), et les partis arabes sunnites ont reçu le soutien exclusif de leurs groupes sociaux respectifs alors que les identités sectaires étaient mobilisées électoralement (Allaoui, 2007).

Il en a résulté une multiplicité de partis sunnites, chiites,

 kurdes, laïcs et religieux dépourvus de tout attrait interethnique ou interconfessionnel. Ce système de partis a institutionnalisé et exacerbé les clivages sociétaux de l’Irak plutôt que de les combler.

Effets sur l’intégration sociétale et la gouvernance

La prolifération des partis identitaires en Belgique et en Irak a eu des répercussions majeures sur la capacité d’une gouvernance démocratique efficace et stable, de l’unité nationale et de l’intégration sociale. Plusieurs effets négatifs sont évidents dans les deux cas.

Difficulté accrue de la formation et de la gouvernance des coalitions

Le niveau élevé de fragmentation du système de partis dans les deux pays a considérablement accru la difficulté d’établir des coalitions de gouvernement majoritaires, ce qui a entraîné de longues négociations pour la formation du gouvernement et une instabilité politique chronique. En Belgique, la scission du système des partis en deux groupes distincts, flamands et francophones, n’a pas permis aux partis de gouverner seuls, ce qui a nécessité des gouvernements de coalition qui ont franchi le fossé linguistique.

Mais les deux communautés ont des intérêts économiques divergents, les Flamands, plus prospères, n’appréciant pas les transferts fiscaux vers la Wallonie. Les coalitions fragiles entre les partis flamands et francophones, idéologiquement incompatibles, sont devenues susceptibles de s’effondrer en raison de l’impasse et de l’animosité entre les factions linguistiques. Entre 1999 et 2011, la Belgique a connu six crises gouvernementales liées à des tensions communautaires (Deschouwer 2012). La crise la plus longue a duré de 2010 à 2011, la Belgique ayant fonctionné pendant 18 mois sans gouvernement élu en raison de l’incapacité à surmonter les divisions et à forger une majorité gouvernementale fonctionnelle.

En Irak, la pléthore de partis ethno-sectaires concurrents a exclu les majorités de parti unique, entraînant des gouvernements de coalition instables à la suite de chaque élection post-invasion. Les principales factions manquaient d’orientations idéologiques communes ou d’agendas politiques au-delà des intérêts ethno-sectaires, sapant la construction viable de coalitions (Allawi 2007). Les négociations pour la formation du gouvernement ont traîné pendant des mois, avec des manœuvres factionnelles pour les postes ministériels et l’utilisation mutuelle du droit de veto, créant des vides politiques prolongés après les élections (Katzman 2022). Le système de partage du pouvoir ethno-sectaire a également permis aux petits partis de jouer le rôle de faiseurs de rois, tenant les gouvernements de coalition en otage pour promouvoir leurs agendas étroits. Des systèmes de partis excessivement fragmentés et polarisés dans les deux pays ont sapé l’émergence de gouvernements nationaux cohésifs et efficaces.

Montée du séparatisme

La prolifération de partis régionalistes et nationalistes en Belgique et en Irak prônant le séparatisme a favorisé des sentiments sécessionnistes et des crises menaçant l’unité nationale. En Belgique, la montée de l’Union populaire flamande et d’autres partis nationalistes réclamant l’indépendance a trouvé un soutien croissant parmi les Flamands depuis les années 1970 (Deschouwer 2009). Les demandes ont augmenté en faveur de la division totale de la Belgique en États flamands et wallons distincts. Les tensions ont éclaté lors de la crise politique belge de 2007-2011, alors que les factions nationalistes flamandes paralysaient la formation de coalitions pour réclamer la dévolution des pouvoirs, alimentant les craintes francophones d’une rupture. Seules des réformes constitutionnelles majeures accordant plus d’autonomie ont apaisé les autonomistes flamands. Cependant, le séparatisme demeure une force, avec l’Alliance néo-flamande séparatiste siégeant au gouvernement, indiquant des risques pour la continuité de la Belgique en tant qu’État intact (DeWinter et al. 2006).

En Irak, les partis nationalistes kurdes tels que le PDK et l’UPK ont dominé la région kurde du nord et poursuivi un programme séparatiste de manière persistante depuis les années 1960, alimenté par la discrimination ethnique et la répression (Stansfield 2004). La prolifération de partis nationalistes kurdes après 2003, désormais représentés dans les institutions nationales comme le Parlement, a renforcé les aspirations kurdes à une indépendance totale. Le référendum sur l’indépendance kurde de 2017, initié par le PDK, a déclenché une grave crise avec Bagdad, car le système de partis fragmenté offre aux factions kurdes une plateforme pour attiser le séparatisme (Hiltermann et al. 2020). Les partis ethno-nationalistes dans les deux pays ont efficacement mobilisé des groupes sociaux vers des objectifs séparatistes mettant gravement en danger l’unité nationale.

Dysfonctionnement démocratique

Le pluralisme politique débridé en Belgique et en Irak a également engendré un dysfonctionnement démocratique, caractérisé par l’immobilisme politique, des élections dépourvues de délibération nationale et une rupture entre les électeurs et les élites. En Belgique, le système de partis divisé a favorisé la polarisation entre les communautés linguistiques, l’absence de médias nationaux et d’organisations politiques limitant la communication intersociétale (Deschouwer 2012). Les campagnes électorales se sont centrées sur des appels ethnocentriques autour des intérêts flamands ou francophones plutôt que sur les préoccupations nationales. Pendant ce temps, la nécessité de gouvernements de coalition difficiles incitait les élites des partis à faire des compromis loin des préférences des électeurs. Ces conditions ont engendré un mécontentement à l’égard des partis traditionnels, des poussées périodiques pour des groupes extrémistes comme les nationalistes flamands et un mécontentement démocratique surtout en Flandre face à l’impasse linguistique (Abts et al. 2012).

De même, le système de partis fragmenté et ethno-sectaire de l’Irak post-invasion a renforcé les divisions sociétales et entravé le développement d’un discours national global lors des élections (Dodge 2014). La rhétorique de campagne s’est concentrée sur l’identité et les intérêts ethno-sectaires plutôt que sur des plates-formes idéologiques ou des questions politiques. Par conséquent, les résultats des élections manquaient de légitimité démocratique car ils redistribuaient simplement le pouvoir entre les blocs ethno-sectaires plutôt que de refléter des mandats politiques nationaux. De plus, la diffusion de l’autorité à travers une myriade de partis au pouvoir facilitée par la représentation proportionnelle entravait l’action politique décisive, alimentant le mécontentement des citoyens à l’égard de la démocratie (Katzman 2022). Dans les deux pays, le pluralisme débridé a sapé des mécanismes cruciaux de responsabilité démocratique, de délibération et de réactivité.

Affaiblissement de l’identité nationale

Enfin, la prolifération de partis exclusivement basés sur l’identité a affaibli l’identité nationale globale et la solidarité en Belgique et en Irak. En Belgique, la scission des partis en équivalents flamands et francophones distincts a favorisé des sous-cultures partisanes divergentes et des identités de groupe antagonistes, transformant la politique en une extension de la lutte ethno-linguistique plutôt qu’en un canal constructif (Deschouwer 2009). Sans partis promouvant une identité et des intérêts belges communs, l’idée de la nation en tant que communauté unifiée a disparu. Les citoyens flamands se voyaient de plus en plus non pas comme Belges, mais uniquement flamands, les partis séparatistes gagnant en attrait, tandis que les francophones s’accrochaient à l’unité belge pour des raisons économiques (De Winter et al. 2006). L’absence de partis transversaux et généralistes pour socialiser les citoyens dans une identité nationale globale a permis à la fragmentation sociale de s’approfondir sans entrave.

En Irak, le système de partis qui a émergé après l’invasion a complètement échoué à transcender les divisions ethno-sectaires et à promouvoir une identité et une conscience nationales irakiennes inclusives. La plupart des partis arabes sunnites et kurdes s’opposaient à la consolidation de l’autorité centrale de l’État, tandis que les factions islamistes chiites cherchaient à obtenir un monopole majoritaire du pouvoir qui aliénait d’autres groupes (Allaoui, 2007). Le système fragmenté a favorisé une culture politique segmentée où les partis ont propagé des identités sous-nationales d’exclusion plutôt qu’une nation commune. En l’absence de partis nationalistes multiethniques, l’identité nationale irakienne s’est érodée au milieu de la montée incontrôlée des nationalismes ethno-sectaires concurrents mis en avant par les partis identitaires (Dodge 2018). Dans les deux cas, le pluralisme politique débridé a permis l’érosion d’une identité et d’une solidarité nationales intégrées.

Solutions institutionnelles pour des sociétés diversifiées

Les cas belge et irakien montrent que les systèmes de partis identitaires très fragmentés, issus de clivages sociétaux, comportent de graves risques pour la stabilité démocratique, l’intégrité nationale et l’intégration sociétale dans des sociétés divisées. Pourtant, la prise en compte de la diversité par le biais d’une représentation équitable et inclusive reste essentielle dans les États pluriels. Des réformes institutionnelles pourraient atténuer l’excès de partisanerie et encourager une politique partisane transversale et conciliante dans le cadre des systèmes proportionnels.

La conception d’un système électoral est un outil puissant. Par exemple, le relèvement du seuil d’attribution des sièges parlementaires au-delà des niveaux habituels de 2 à 5 % limiterait les micro-partis construits autour d’identités paroissiales (Ordeshook et Shvetsova, 1994). Le vote préférentiel dans les circonscriptions plurinominales permettrait aux citoyens de classer les candidats au-delà des lignes de parti, ce qui modérerait les campagnes et favoriserait les transferts de votes entre les groupes (Horowitz, 1985). Les quotas explicitement ethnoconfessionnels pourraient être remplacés par une exigence de diversité fondée sur des principes pour les listes de partis. La décentralisation fédéraliste accordant l’autonomie régionale peut également désamorcer le sécessionnisme, comme au Canada ou en Inde, mais nécessite un équilibre avec des institutions centrales intégratives. Le centripète, qui structure les institutions démocratiques pour encourager l’accommodement entre les groupes, plutôt que de codifier les divisions, offre une approche prometteuse (Reilly, 2001). La légitimité fondée sur les résultats, qui met l’accent sur une gouvernance efficace plutôt que sur des quotas ethno-sectaires, peut également favoriser des partis multiethniques programmatiques orientés vers les intérêts économiques communs des électeurs (Stokes et al., 2013). La mise en œuvre de l’ingénierie institutionnelle pour freiner la fragmentation effrénée des partis identitaires, promouvoir un comportement agrégatif des partis et cultiver des intérêts transversaux est cruciale pour permettre une démocratie fonctionnelle, l’intégration nationale et l’harmonie sociétale dans des sociétés gravement divisées. Les défis posés par le pluralisme des partis exigent des arrangements électoraux et fédéraux nuancés pour assurer la représentation sans enraciner la polarisation.

Conclusion

Cet article, basé sur les études de cas de la Belgique et de l’Irak, a évalué les effets des systèmes de partis identitaires très fragmentés sur l’intégration sociétale, la gouvernance démocratique et l’unité nationale dans des sociétés divisées. En retracant les origines historiques et institutionnelles du pluralisme excessif des partis dans les deux pays, l’article a analysé comment les clivages sociétaux ont été exacerbés par des institutions électorales permissives, permettant une prolifération illimitée de micro-partis centrés sur des identités étroites.

L’article constate que le pluralisme des partis politiques, religieux et sectaires a eu des effets négatifs majeurs en Belgique et en Irak. La formation et la gouvernance des coalitions ont été paralysées, alimentant une instabilité politique chronique. Les partis nationalistes séparatistes se sont renforcés, menaçant de dissoudre les deux États. La légitimité et l’efficacité démocratiques ont été sapées par des élections dépourvues de délibération nationale et par un immobilisme politique irresponsable. L’identité nationale et la solidarité globales se sont érodées alors que les partis propageaient des identités infranationales d’exclusion plutôt qu’une nation commune.

Les cas confirment les études selon lesquelles les systèmes de partis identitaires hautement fragmentés risquent d’exacerber la polarisation, l’instabilité et la division sociétale dans les sociétés divisées. Cependant, la démocratisation dans des sociétés diversifiées exige toujours une représentation équitable et inclusive des clivages sociétaux saillants afin de prévenir l’oppression et les conflits.

La solution pourrait résider dans des réformes institutionnelles soigneusement élaborées pour freiner le pluralisme excessif tout en respectant les droits des minorités. Des options comprennent le relèvement des seuils électoraux, le vote préférentiel exigeant des transferts entre groupes, le remplacement des quotas ethniques explicites par des exigences de diversité et la dévolution fédéraliste des pouvoirs pour désamorcer le sécessionnisme. Le centripétisme offre un cadre pour l’élaboration de règles électorales et partisanes qui incitent à l’agrégation et au compromis. La légitimité de la production, mettant l’accent sur une gouvernance efficace plutôt que sur les quotas ethno-sectaires, pourrait favoriser les partis multiethniques programmatiques.

La gestion de la diversité par la conception du système de partis reste impérative pour la démocratie et la stabilité dans des sociétés gravement divisées. Les défis mis en lumière par la Belgique, l’Irak et d’autres cas soulignent que le pluralisme effréné des partis identitaires risque de nuire à la qualité démocratique, à l’intégration nationale et à l’harmonie sociale. Cependant, des solutions institutionnelles bien conçues peuvent atténuer la fragmentation excessive et ses effets. L’ingénierie nuancée des systèmes électoraux, des règlements des partis et des modèles fédéraux visant à limiter la polarisation partisane tout en garantissant une représentation inclusive mérite une étude comparative plus approfondie en tant que condition préalable essentielle à une démocratie juste et stable dans divers États.

Réferences

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SAKHRI Mohamed

Je suis titulaire d'une licence en sciences politiques et relations internationales et d'un Master en études sécuritaire international avec une passion pour le développement web. Au cours de mes études, j'ai acquis une solide compréhension des principaux concepts politiques, des théories en relations internationales, des théories sécuritaires et stratégiques, ainsi que des outils et des méthodes de recherche utilisés dans ces domaines.

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