Etudes Géopolitiques

L’Ecole Française de Géopolitique

L’école française de géopolitique fait référence à une tradition nationale distincte de pensée géopolitique qui a émergé en France à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. La géopolitique est l’étude de la relation entre la géographie, la politique et le pouvoir. L’école française met l’accent sur le rôle des caractéristiques géographiques cohérentes dans l’influence de la politique étrangère des États. Il soutient que des facteurs tels que la géographie, le climat et l’accès aux ressources naturelles façonnent fondamentalement le pouvoir et le comportement des nations. La tradition française est souvent opposée à l’école anglo-saxonne de géopolitique associée à des chercheurs comme Halford Mackinder en Grande-Bretagne.

Les racines de l’école française remontent à des penseurs tels que Jean Brunhes, Vidal de la Blache et Élisée Reclus à la fin du 19e siècle. Mais son développement majeur est survenu dans l’entre-deux-guerres, lorsque des intellectuels français de premier plan comme Albert Demangeon et Jacques Ancel ont articulé ses idées fondamentales. Les principaux architectes et représentants de l’école sont les géographes Paul Vidal de la Blache, considéré comme le fondateur de la géographie française, et son élève Lucien Febvre, l’historien Fernand Braudel, le géographe politique Yves Lacoste, le philosophe marxiste Henri Lefebvre, l’ethnologue et sociologue Jacques Lévy-Strauss, et l’archéologue et historien Emmanuel Le Roy Ladurie.

L’approche française se distingue de l’école allemande de géopolitique associée à des penseurs comme Friedrich Ratzel et Karl Haushofer en se concentrant moins sur l’État. Il a mis l’accent sur les influences historiques et géographiques sur l’identité nationale et la culture plutôt que sur la politique du pouvoir. L’école française a été marginalisée après la Seconde Guerre mondiale en raison de l’association de la géopolitique avec le nazisme. Mais depuis les années 1970, on assiste à un renouveau de la pensée géopolitique française, incorporant de nouvelles influences comme la théorie critique et le postmodernisme. Michel Foucher, Aymeric Chauprade et François Thual sont d’éminents représentants contemporains.

Cet article donne un aperçu des origines, des grands penseurs, des concepts fondamentaux et de l’évolution de l’école française de géopolitique sur plus d’un siècle. Il analyse les sources intellectuelles, les influences géographiques et culturelles, les contributions à l’université et à la politique, et les critiques de cette tradition nationale distinctive. Les idées clés, les modèles et les méthodologies des principaux penseurs géopolitiques français sont explorés. L’article examine également la pertinence et la position contemporaines de la géopolitique française.

Origines

L’école française de géopolitique trouve ses racines à la fin du 19e siècle, associées au développement de la géographie en tant que discipline académique en France.

Influences intellectuelles

La pensée géopolitique française a été façonnée par divers courants intellectuels comme le positivisme, le racialisme, le darwinisme social, l’historicisme et la théorie sociologique. Le géographe Paul Vidal de la Blache a incorporé les idées de penseurs comme Fustel de Coulanges, Taine et Ritter dans son approche régionaliste. Lucien Febvre a été influencé par la géographie historique de Marc Bloch et Fernand Braudel par l’école d’histoire socio-économique des Annales. La distinction du sociologue Emile Durkheim entre solidarité organique et solidarité mécanique a influencé l’ethnologue Jacques Lévy-Strauss. Le philosophe Gaston Bouthoul a appliqué la théorie sociologique de Vilfredo Pareto aux conflits et aux guerres humaines. La théorisation racialiste du psychologue et sociologue Gustave Le Bon sur l’opposition entre peuples statiques et dynamiques a façonné la géographie coloniale de Jean Brunhes.

Contexte culturel

L’émergence de la géopolitique française a également été façonnée par le climat culturel et intellectuel de la France de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il s’agit notamment de la campagne de sécularisation progressive de la Troisième République contre le catholicisme, de l’héritage de la Révolution de 1789 et de ses idéaux de progrès et des Lumières, ainsi que de l’éthique de l’universalisme français. La mission civilisatrice française d’élever les peuples prétendument arriérés a influencé la géopolitique coloniale. Le régionalisme et l’héritage de la monarchie ont enrichi les perspectives sur le pluralisme culturel. Les philosophies d’Henri Bergson et de Gabriel Tarde privilégiaient l’évolution dynamique par rapport aux états statiques. Et la convergence entre le mouvement nationaliste de droite Action française et certains spécialistes de la géopolitique autour du thème du déclin de la nation reflétait le pessimisme après les pertes de la Première Guerre mondiale.

Les premiers penseurs

La géopolitique française a émergé grâce aux travaux de géographes pionniers de la fin du XIXe siècle comme Jean Brunhes et Élisée Reclus qui ont rompu avec le déterminisme environnemental et ont mis l’accent sur l’action humaine. Le vaste projet de documentation terrestre de Reclus, La Nouvelle Géographic Universelle (1875-1894), systématise les connaissances géographiques. Il a mis en évidence les relations entre les sociétés humaines et leur environnement ambiant au milieu d’un dynamisme produit par des facteurs tels que les voies de transport.

Géographie régionale de Vidal de la Blache

Mais la principale influence précoce a été le géographe Paul Vidal de la Blache. Vidal a conçu la France éternelle de pays variés avec des genres de vie distincts. Contre Reclus et des penseurs allemands comme Ratzel, il affirmait que les caractéristiques géographiques statiques importaient moins que les perceptions et les valeurs humaines pour définir les régions. Vidal s’est opposé au déterminisme environnemental, soulignant les particularités culturelles régionales façonnées par la longue durée. Son Tableau de la géographie de la France (1903) définit le champ et la méthodologie de la géographie régionale.

L’élève de Vidal, Lucien Febvre, rompt avec la théorie du genre de vie de ce dernier. Febvre considérait plutôt les régions comme des fragments de l’évolution historique de la nation. Mais Febvre a conservé le concept de régionalisme, influencé par la vision géographique du passé de Marc Bloch. Les historiens des Annales, comme Fernand Braudel, ont fusionné la géographie avec l’histoire socio-économique contre l’analyse des événements à court terme. Leur géohistoire a examiné comment les contraintes matérielles régionales et les modifications de l’environnement humain interagissent dialectiquement sur le milieu.

L’entre-deux-guerres : tournant nationaliste

L’entre-deux-guerres a vu la montée de courants plus nationalistes et politiquement conservateurs de la géopolitique française. Demangeon et Ancel ont donné à la géopolitique son tournant nationaliste. Le Déclin de l’Europe (1920) de Demangeon établit un lien entre les facteurs géographiques et économiques et les changements de pouvoir en Europe après la Première Guerre mondiale. Son élève Ancel a combiné la géographie et la stratégie, développant le concept organiciste de la région géostratégique en tant qu’entité géographique, économique et humaine intégrée.

Des penseurs comme Albert Demangeon et Jacques Ancel ont fait revivre ce qu’ils considéraient comme certaines lois durables de la géographie politique, comme le destin continental de la France et ses intérêts sur la frontière rhénane. Ils plaidaient pour la réconciliation de l’Allemagne et de l’intégration européenne dirigée par la France contre les puissances thalassocratiques anglo-saxonnes. Certains géopoliticiens se sont alignés sur l’Action française d’extrême droite et anti-moderniste, comme Pierre Gaxotte, qui a condamné les dilutions ethniques étrangères d’une France hexagonale éternelle. D’autres, comme Emmanuel de Martonne et Max Sorre, ont interprété la géopolitique dans une veine plus ethnographique et relativiste.

Braudel et l’école des Annales

Fernand Braudel a révolutionné l’analyse des contraintes géographiques sur le long terme à travers sa vaste étude géohistorique La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (1949). Braudel concevait le temps à plusieurs échelles plutôt que comme une continuité unique, perturbant l’histoire événementielle centrée sur l’événement. Sa structure à trois niveaux examinait la géohistoire à travers la longue durée du climat, des conditions du sol, des routes maritimes et d’autres réalités géographiques qui conditionnaient l’action humaine. Sa contribution a enrichi la géographie historique et la pensée de l’école des Annales d’une dimension géopolitique.

Le renouveau de l’après-guerre

L’association de Vichy a sévèrement discrédité la géopolitique classique après la Seconde Guerre mondiale, bien que Demangeon ait été actif dans la Résistance. Mais la géographie française a conservé ses courants humanistes. L’ethnologue et sociologue Jacques Lévy-Strauss rompt avec les théories racialistes en développant la méthode de l’anthropologie structurale pour analyser les systèmes culturels. L’approche ethnographique a influencé les géographes Pierre Gourou et Paul Pélissier. Avec la décolonisation, Gourou a adapté le régionalisme vidalien pour analyser les territoires tropicaux en tant qu’entités culturelles pluralistes ancrées dans leurs contraintes géographiques spécifiques. Le philosophe marxiste Henri Lefebvre concevait l’espace lui-même comme un produit social évolutif et un cadre façonnant la perception et les possibilités humaines.

Dans les années 1970, l’école française renaît avec de nouvelles influences. Le géographe politique Yves Lacoste a remis en question l’apathie perçue du domaine à l’égard des problèmes du monde réel. Lacoste a fondé la revue militante Hérodote, créant une géographie révolutionnaire à travers des concepts tels que la violence géographique et la géographie des conflits. L’archéologue et historien Emmanuel Le Roy Ladurie a été le pionnier de l’approche microhistorique, en utilisant des méthodes anthropologiques et quantitatives pour reconstituer les expériences quotidiennes des habitants historiques de villages et de régions particuliers.

Géopolitique française contemporaine

Depuis les années 1980, la pensée géopolitique française s’est adaptée aux préoccupations contemporaines telles que la technologie, le nationalisme, le terrorisme et les identités postcoloniales. Les travaux de Michel Foucher, Aymeric Chauprade et François Thual ont réinterprété la pensée géopolitique française de manière innovante, en combinant de multiples perspectives.

L’invention des frontières (1986) de Foucher examine les facteurs contingents qui sous-tendent le processus sociopolitique de formation des frontières, en mettant l’accent sur l’action humaine plutôt que sur les caractéristiques naturelles comme déterminant des frontières géopolitiques. Ses travaux ultérieurs, comme La Bataille des Cartes (2007), fournissent des analyses géopolitiques actualisées de la position de la France au sein des systèmes de pouvoir et des alliances occidentales.

Le projet geopolitique.com de Chauprade visait à créer un centre indépendant de la pensée géopolitique française intégrant diverses influences du journalisme, de l’université, de l’activisme et d’Internet. Chauprade a analysé des dynamiques contemporaines telles que le techno-mondialisme et les conflits ethno-religieux dans une perspective géopolitique réaliste mais multidimensionnelle.

Les travaux de François Thual ont développé l’analyse géo-historique braudelienne selon des lignes de théorie constructiviste et critique influencées par Foucault et Derrida. Thual conçoit la géopolitique comme de multiples représentations concurrentes fondées sur des formations discursives complexes, des idées et des motivations inconscientes. Ses réflexions sur des thèmes tels que les identités, les frontières, les territorialités et l’Autre ont contribué à la théorie géopolitique française postmoderne.

Concepts et idées de base

L’école française a développé des concepts, des méthodologies et des revendications fondamentales sur la relation entre la géographie et la politique. Il s’agissait notamment d’idées telles que :

  • L’hexagone : L’idéal d’une nation française cohérente et géographiquement unifiée autour du Bassin parisien et des frontières contestées de la Rhénanie constitue un thème central.
  • L’identité géopolitique de la France est fondamentalement continentale européenne plutôt qu’atlantiste, façonnée par son isolement relatif et sa centralité au milieu de puissances rivales comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Espagne.
  • Pays : Régions de France avec des genres de vie spécifiques, réimaginés plus tard comme des fragments de la géo-histoire nationale.
  • Longue durée : Les réalités géographiques fondamentales telles que les montagnes, les rivières et les côtes façonnent les histoires nationales à long terme.
  • Centre/périphérie : Paris est le centre de gravité politique, économique et culturel de la civilisation. La France d’outre-mer est le domaine périphérique d’influence.
  • Thalassocratie vs tellurocratie : les puissances maritimes et terrestres suivent des impératifs géopolitiques contrastés. La Grande-Bretagne et la France illustrent cette différence.
  • Région organique : Les unités géopolitiques intègrent la terre, les peuples et les ressources dans des entités holistiques poursuivant la réalisation de soi.
  • Frontières sociologiques : Les frontières reflètent des processus politiques contingents plutôt que des divisions innées entre les peuples.
  • Raison cartographique : Les cartes servent intrinsèquement les agendas idéologiques du pouvoir plutôt que de représenter la réalité de manière neutre.
  • Unité méditerranéenne : la France appartient à la communauté historique méditerranéenne plutôt qu’à l’Occident en tant que tel.
  • Eurafrique : l’empire colonial français l’a intégrée à l’Afrique géopolitiquement. La décolonisation n’a pas complètement rompu ce lien.
  • Atlantisme vs continentalisme : la France est tiraillée entre son destin continental et son expansion maritime à l’étranger.

Géopolitique du déclin vs émergence

Il existe une tension théorique fondamentale entre l’interprétation de la France comme une puissance en déclin s’accrochant à la gloire impériale passée et celle d’un leader émergent de l’indépendance européenne et de l’unité méditerranéenne. Le pessimisme de Demangeon et Braudel sur la décadence de la France provinciale contraste avec les visions de son rôle géopolitique central sur divers fronts. Chauprade englobe les deux points de vue sur le positionnement complexe de la France au sein d’un ordre multipolaire émergent.

Apports méthodologiques

L’école française a été pionnière de diverses innovations méthodologiques en géographie, en histoire et en sciences sociales :

  • Monographies régionales : Etudes ethnographiques détaillées des régions locales révélant des ensembles culturels.
  • Géographie historique : Étudier la géographie dans son développement historique plutôt que dans ses états statiques.
  • Cartographie historique : Cartographier l’histoire dans l’espace et dans le temps plutôt que de manière narrative.
  • Anthropologie structurale : Étudier la culture en tant que réseaux synchroniques de codes sociaux interdépendants.
  • Longue durée : Examiner les continuités et les ruptures au fil des siècles et des époques.
  • Géo-histoire : Intégrer les facteurs géographiques et économiques aux tendances socio-historiques.
  • Microhistoire : Zoomer sur des lieux particuliers et tirer des conclusions plus larges sur leur reconstruction.
  • Analyse du discours : Interpréter les revendications géopolitiques comme des représentations construites du pouvoir/savoir.

Influence politique

À travers des institutions telles que l’École Libre des Sciences Politiques, la Corporation des Géographes, l’Institut de Relations Internationales et le Collège Interarmées de Défense, l’école française a éclairé la vision stratégique de leaders comme De Gaulle. M. Foucher a fait partie de l’équipe de planification des politiques du ministère des Affaires étrangères. Chauprade a enseigné dans des académies militaires comme l’École de Guerre. Mais la pensée géopolitique française a sans doute eu plus d’influence académique que politique directe depuis la décolonisation.

Critiques et réponses

L’école française a été critiquée pour de nombreux motifs. L’association avec Vichy a discrédité des penseurs antérieurs comme Demangeon. Les marxistes structurels comme Althusser l’ont accusée d’idéalisme non intégré à l’économie politique. Les universitaires anglo-américains l’ont attaqué comme une abstraction théorique spéculative sans rapport avec la politique concrète. Les poststructuralistes comme Foucault ont contesté son positivisme et sa naturalisation du pouvoir. Les géographes critiques contestent son orientation centrée sur l’État.

En réponse, la géopolitique française ultérieure s’est diversifiée pour intégrer des perspectives structuralistes, marxistes, poststructuralistes et autres. Chauprade défend la nécessité d’un pluralisme méthodologique – de la modélisation mathématique au particularisme culturel – en fonction des défis propres à chaque situation. Foucher rejette l’universalisme abstrait au profit d’un raisonnement géopolitique pragmatique ciblant des questions stratégiques et politiques concrètes. Et les micro-histoires de Le Roy Ladurie illustrent un passage des théories spéculatives sur la France éternelle à la construction de connaissances géosociales à partir de la base.

L’évolution de la géopolitique française

Depuis ses origines de la fin du XIXe siècle, la géopolitique de l’école française a connu plusieurs phases reflétant les vicissitudes nationales de la France :

  1. Période formatrice : géographie régionale humaniste de Vidal de la Blache, géo-histoire de Febvre
  2. Le renouveau de l’entre-deux-guerres : le pessimisme de Demangeon après la Première Guerre mondiale, la géostratégie organiciste d’Ancel
  3. La marginalisation sous Vichy : discrédit et déclin de la géopolitique ouverte
  4. Braudel’s innovative geo-history: Longue durée, Annales school influences
  5. Renouveau post-décolonisation : intégration du structuralisme, du marxisme, de l’ethnographie
  6. Pluralité contemporaine : le pragmatisme politique de Foucher, le multipolarisme de Chauprade, le postmodernisme de Thual

Tout en s’adaptant à de nouvelles influences, la pensée géopolitique française conserve une persistance singulière façonnée par la position géographique unique de la nation et des contextes de longue date tels que le régionalisme, l’identité méditerranéenne et la double orientation atlantiste/européiste ambiguë. Des concepts de base tels que l’Hexagone, le pays, la longue durée et la thalassocratie par rapport à la tellurocratie continuent de fournir des cadres sous-jacents. Le renouvellement flexible de l’école française démontre la pertinence continue du domaine dans un contexte de tensions fluctuantes.

Grandes figures de l’école française

La tradition géopolitique française doit beaucoup aux contributions novatrices de penseurs de premier plan qui s’étendent sur plus d’un siècle :

Paul Vidal de la Blache (1845-1918) : Initiateur de la géographie française moderne. Développement du concept influent de genre de vie et de l’accent méthodologique sur les monographies régionales.

Élisée Reclus (1820-1905) : Géographe le plus important de son époque. Thèmes humanistes avancés tels que la nature sociale de l’espace. Il a influencé les écoles françaises et russes de géopolitique anarchiste.

Jean Brunhes (1869-1930) : élève de Vidal, pionnier de l’anthropogéographie française mêlant environnement et culture. Analyse de l’impact de la technologie sur les relations géo-humaines.

Lucien Febvre (1878-1956) : Critique de la théorie du genre de vie de Vidal à travers les régions mouvantes. Géographie historique façonnée avec Marc Bloch. Co-fondateur de l’approche longue durée.

Jacques Ancel (1879-1943) : Penseur fondateur de l’entre-deux-guerres. Il a développé une analogie organiciste influente des régions géostratégiques en tant qu’ensembles intégrés en compétition pour la réalisation de soi.

Albert Demangeon (1872-1940) : Démonstration de l’importance de la géographie pour la stratégie et la politique de l’après-Première Guerre mondiale. Pionnier de l’analyse multipolaire du déclin de l’Europe au milieu de la thalassocratie anglo-américaine.

Fernand Braudel (1902-1985) : Concepteur d’une méthodologie géo-historique à plusieurs niveaux examinant l’action humaine à travers la longue durée des contraintes environnementales sous-jacentes.

Yves Lacoste (né en 1929) : Géographie révolutionnaire qui remet en question l’idéologie de l’absence de lieu. Analyse de l’impérialisme et des conflits à travers des imaginaires et des pratiques géographiques rivales.

Henri Lefebvre (1901-1991) : philosophe marxiste qui a fait de l’espace lui-même un objet et un cadre de théorisation sociale dynamique.

Emmanuel Le Roy Ladurie (né en 1929) : Co-fondateur de l’école des Annales. Déploiement de méthodes ethnographiques au niveau micro pour reconstruire la vie paysanne dans les régions.

Michel Foucher (né en 1938) : Reprise de la géopolitique française classique dans le contexte de l’après-guerre froide. Développement d’une analyse constructiviste des frontières en tant qu’artefacts socio-politiques.

Aymeric Chauprade (né en 1969) : Représentant contemporain qui a eu pour objectif de créer une école française indépendante adaptée à la multipolarité du XXIe siècle et à la mondialisation techno-culturelle.

François Thual (né en 1961) : Avance une géopolitique postmoderne interrogeant les représentations de l’espace, des frontières et des identités en tant que constructions discursives contingentes du pouvoir/savoir.

Ceux-ci et d’autres penseurs de premier plan ont fait de la tradition française l’une des approches les plus sophistiquées pour conceptualiser la géohistoire et fournir un aperçu géopolitique des questions politiques. Ils ont fait de l’analyse géographique un mode clé d’explication à long terme des sciences sociales.

Géopolitique française des espaces européens

L’une des principales applications de la géopolitique française a été l’analyse de la place et du rôle de la France par rapport à ses diverses régions environnantes et aux principales puissances voisines en Europe.

Europe septentrionale

L’une des principales applications de la géopolitique française a été l’analyse de la place et du rôle de la France par rapport à ses diverses régions environnantes et aux principales puissances voisines en Europe.

Europe septentrionale

  • La géopolitique française considère l’Europe du Nord comme une région maritime distincte de l’identité tellurocratique de la France. La Grande-Bretagne est un exemple de puissance thalassocratique.
  • La France a rivalisé avec la Grande-Bretagne pour les possessions coloniales et l’hégémonie européenne tout en coopérant contre des rivaux communs comme l’Espagne ou l’Allemagne.
  • La géopolitique britannique est perçue comme fondamentalement atlantiste et extra-européenne, centrée sur la Royal Navy, le commerce et l’empire d’outre-mer.
  • Mais des penseurs français comme Ancel ont également vu un partenariat franco-britannique potentiel pour sécuriser les zones maritimes contre la menace continentale allemande.
  • La France dispose d’une forte interface maritime avec l’Europe du Nord. Mais sa trajectoire de développement différente en fait un participant ambivalent de l’identité régionale du Nord.

Europe atlantique

  • L’Europe atlantique chevauche l’Europe du Nord, mais s’étend le long de la côte atlantique. C’est une zone d’orientation maritime anglo-saxonne.
  • Pour les géopoliticiens comme Lacoste, l’Europe atlantique est l’appendice géostratégique de l’impérialisme américain, la base territoriale occidentale de l’OTAN projetant sa puissance en Eurasie.
  • Mais d’autres, comme Foucher, mettent l’accent sur les liens positifs entre les Franco-Américains et les démocraties libérales, qui freinent les ambitions allemandes et sécurisent l’Europe.
  • La France dispose d’une forte périphérie maritime atlantique. Mais son identité centrale reste continentale orientée vers les bassins du Rhin et du Rhône et la Méditerranée.
  • Ainsi, bien que liée à l’Europe atlantique, la France est tiraillée entre sa vocation atlantique et son destin de puissance méditerranéenne continentale.

Europe centrale

  • Les penseurs français voient l’Europe centrale comme le cœur du continent dominé par la puissance allemande. C’est le centre de gravité géostratégique de la politique européenne.
  • La tellurocratie allemande menace l’équilibre des forces et les intérêts français dans la suprématie à l’ouest du Rhin. Mais l’Allemagne est aussi un partenaire économique.
  • Demangeon a mis en garde contre l’exploitation par les États-Unis des richesses industrielles du bassin du Rhin contre une Europe divisée.
  • Pour Lacoste, l’Europe centrale était le glacis essentiel de l’OTAN, c’est-à-dire le terrain de rassemblement pour projeter ses forces vers l’Est pendant la guerre froide.
  • La France se conçoit comme partie intégrante de l’Europe centrale mais s’oppose à l’hégémonie allemande sur celle-ci. La stabilité rhénane reste un intérêt majeur pour la France.

Europe orientale

  • Ancel considérait l’Europe de l’Est comme semi-asiatique avec une identité occidentale ambiguë. La Russie menace l’Europe centrale par ce biais.
  • Fourier voyait la Pologne comme un contraste géopolitique représentant le slavisme occidental orientalisé contre l’Allemagne rationalisée.
  • Demangeon considérait qu’une Pologne indépendante était indispensable pour équilibrer la puissance allemande et protéger la France.
  • Le Roy Ladurie a adopté le concept de Braudel d’une zone de transition fluide entre l’Europe et l’Asie plutôt que d’une frontière stricte.
  • La France soutient les États d’Europe de l’Est contre la domination russe. Mais leur intégration dans l’UE et l’OTAN est controversée au sein de la géopolitique française.

Europe méridionale

  • L’Europe méridionale centrée sur la Méditerranée tient une place forte dans la culture stratégique française en tant que point d’origine géo-culturel.
  • Braudel a retracé comment l’unité méditerranéenne et la connectivité économique ont historiquement façonné une identité régionale partagée dans la diversité.
  • La Méditerranée est considérée comme une mer intérieure française et une zone d’influence cruciale contrebalançant l’orientation atlantique.
  • Les penseurs français soutiennent que l’unité du littoral méditerranéen peut contenir des forces de division comme l’islam politique ou les conflits au Moyen-Orient.
  • Chauprade privilégie un retour à la vocation méditerranéenne de la France contre l’atlantisme pour mener des politiques multivectorielles dans un monde multipolaire.

Cette vision géopolitique de la place et des priorités régionales de la France continue de façonner sa vision stratégique malgré la mondialisation de l’économie. La France reste en tension entre ses orientations septentrionale, méridionale et orientale au sein de l’Europe.

Perspectives françaises sur l’intégration européenne

L’un des thèmes majeurs de la géopolitique française a été l’analyse des opportunités et des défis de l’intégration européenne centrée sur l’UE et ses précurseurs. Les penseurs français offrent des points de vue variés sur ce projet.

  • Certains, comme Ancel, envisageaient l’unité européenne contre la thalassocratie anglo-saxonne, la France et l’Allemagne étant réconciliées comme les « moteurs » de la confédération.
  • Mais Demangeon a critiqué Bruxelles comme étant dominée par le commerce britannique et incapable de résister à l’empiètement économique américain en Europe centrale.
  • Braudel concevait l’unité paneuropéenne comme une quasi-inévitabilité en raison de forces géo-économiques historiques partagées comme l’intégration du charbon et de l’acier.
  • Foucher déconstruit l’Europe comme une réalité économique, institutionnelle, culturelle et émotionnelle complexe aux frontières floues.
  • Chauprade soutient que l’UE est structurellement biaisée pour servir la proto-hégémonie franco-allemande plutôt que la multipolarité équitable.
  • La géopolitique française est généralement favorable à une UE autonome équilibrant l’OTAN, à condition qu’elle préserve l’autonomie politico-militaire française et fasse avancer les intérêts français.
  • Mais il y a des tensions persistantes sur l’atlantisme, la prépondérance allemande, la cohésion méditerranéenne, l’intégration des migrants musulmans et l’expansion vers l’est.
  • L’argument du « Frexit » de Le Pen prétend que seule la décentralisation nationaliste peut raviver la grandeur française au milieu des dysfonctionnements de l’UE.
  • Mais la plupart des penseurs géopolitiques français prônent l’unité dans la diversité pour parvenir à un équilibre géostratégique entre la tellurocratie continentale et la thalassocratie atlantiste.

Malgré les différends en cours, les écoles françaises privilégient généralement la confédération européenne dans le cadre d’un condominium franco-allemand équilibré comme contrepoids géopolitique aligné sur les intérêts de la France. Mais ils restent attentifs aux menaces potentielles qui pèsent sur la puissance française.

Géopolitique des territoires français d’outre-mer

En tant qu’ancien vaste empire colonial, l’analyse des intérêts français dans ses territoires d’outre-mer et ses anciennes colonies a été au cœur des préoccupations de l’école française.

Amériques

  • La France conserve de petites îles des Caraïbes comme la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane française. Ils étendent la présence maritime et les ressources de la France aux Amériques.
  • Mais les penseurs français se concentrent davantage sur les relations avec les grandes puissances américaines et les anciennes colonies, en particulier le Canada québécois.
  • Le Québec représente un prolongement direct de la civilisation francophone à l’étranger. Ses liens culturels avec la France persistent malgré l’ascendant anglo-saxon en Amérique du Nord.
  • Demangeon considérait que le Canada maritime était essentiel pour contenir la puissance anglo-américaine sur l’Atlantique. Ancel plaide en faveur d’un axe géostratégique Paris-Ottawa contre Washinton.
  • L’indépendance d’Haïti, autrefois la colonie française la plus rentable du Nouveau Monde, a en grande partie mis fin à sa présence géopolitique dans les Amériques. Mais les idées de francophonie persistent.

Afrique

  • L’Afrique subsaharienne était le cœur de l’empire colonial français. La décolonisation n’a pas rompu les liens économiques et culturels durables.
  • La France conserve de petites exploitations insulaires comme Mayotte et La Réunion au large des côtes africaines. Mais sa présence africaine plus large dépend des réseaux néocoloniaux de la Françafrique.
  • Chauprade soutient que l’Afrique subsaharienne reste la sphère d’influence la plus dépendante de la France, où elle s’oppose aux intérêts anglophones et à la présence croissante de la Chine.
  • La France entretient des relations économiques et militaires étroites avec d’anciennes colonies comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Ses entreprises exploitent les ressources et les marchés africains.
  • L’anthropologie structurale de Lévy-Strauss visait à analyser systématiquement les sociétés africaines à l’aune des récits racialistes du primitivisme. Son ambivalence reflète les identités postcoloniales.
  • La France conçoit l’Afrique francophone comme une région distincte de culture française au milieu de la domination anglo-américaine ailleurs en Afrique. Le Mali est un exemple de cette dynamique.

Le Maghreb

  • La France fait valoir que son identité méditerranéenne justifie le maintien de liens étroits avec l’Afrique du Nord.
  • Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie font partie du périmètre de sécurité sud de la France contre l’instabilité au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne.
  • L’Algérie était la pièce maîtresse de la France coloniale. La décolonisation a provoqué des tensions persistantes. Mais son identité francophone est toujours d’actualité.
  • Chauprade prône la séparation de l’Afrique anglophone d’un bloc méditerranéen francophone incluant le Maghreb allié à la France.
  • En mettant l’accent sur les liens culturels maghrébins, la France maintient dans cette région une influence centrale dans la géopolitique de l’immigration et de l’islamisme.

Asie-Pacifique

  • La France a perdu la plupart des colonies asiatiques. Mais elle conserve de petits territoires du Pacifique comme la Nouvelle-Calédonie. Et il coopère avec d’anciennes colonies comme le Vietnam.
  • La France approfondit ses liens économiques et stratégiques avec des puissances émergentes comme l’Inde et l’Australie afin de maintenir son influence régionale face à la montée en puissance de la Chine.
  • Il coopère avec la Grande-Bretagne pour maintenir l’engagement de l’Amérique à contenir les ambitions de la Chine en mer de Chine méridionale et dans l’Indo-Pacifique.
  • Malgré son déclin, la France soutient que ses territoires d’outre-mer, ses bases régionales et ses connexions économiques et culturelles maintiennent son statut de grande puissance dans un monde multipolaire.

Cette présence à l’étranger représente les derniers vestiges de la puissance mondiale de la France contre la domination anglo-saxonne. Les penseurs français soutiennent que ces nœuds soutiennent son autonomie stratégique et son rôle mondial.

Thèmes contemporains de la géopolitique française

La pensée géopolitique française continue d’évoluer en réponse aux changements du XXIe siècle tels que la multipolarisation, la rivalité renouvelée entre grandes puissances, la mondialisation, les migrations, le populisme et les bouleversements technologiques :

Monde multipolaire

  • Chauprade soutient que le moment unipolaire américain cède la place à un nouveau système multipolaire instable de régions géo-économiques concurrentes.
  • Cela ravivera l’autonomie et la grandeur françaises. En diversifiant les liens, la France peut trianguler entre l’atlantisme anglo-américain, l’Europe allemande et la Russie pour mener une politique étrangère multivectorielle.
  • La France doit trouver un équilibre entre la coopération et la concurrence avec des pôles émergents comme le monde du Pacifique de la Chine, la civilisation indienne de l’Inde et la Russie renaissante pour prospérer dans ce nouvel ordre concurrentiel.

Frontières et migrants

  • Foucher explique le regain de nationalisme par le choc psychologique de la perception d’un déplacement rapide des frontières en raison de la mondialisation. L’ouverture des frontières met en péril les identités nationales.
  • L’afflux de migrants musulmans a remis en question l’identité postcoloniale de la France. Chauprade lie l’immigration au terrorisme et à la fragmentation sociale.
  • Mais pour les penseurs plus libéraux, les frontières flexibles enrichissent la culture nationale. Et les migrations diversifient l’identité géo-historique française au-delà de son noyau hexagonal.
  • On s’inquiète de la préservation des frontières stratégiques. Mais de nouvelles frontières culturelles et économiques façonnent également l’avenir contesté de la géopolitique française.

Souveraineté numérique

  • Chauprade soutient que la domination absolue des États-Unis sur Internet leur permet de façonner le discours mondial et d’exercer une influence inégalée sur les populations européennes.
  • La France doit donc cultiver la souveraineté numérique en encourageant les technologies, les infrastructures et les plateformes Internet contrôlées au niveau national pour échapper à la dépendance vis-à-vis des Big Tech américaines.
  • La construction d’une société moins imprégnée par la culture numérique anglophone contribuera à faire revivre les capacités stratégiques et l’identité culturelle et linguistique de la France.
  • Une plus grande collaboration franco-germano-européenne est essentielle pour développer des capacités technologiques autonomes permettant des politiques géopolitiques indépendantes.

Géopolitique de l’environnement

  • Le changement climatique, les conflits liés aux ressources et les inégalités façonnent les décennies à venir. La géographie environnementale recoupe la stratégie.
  • La France a cultivé des industries de technologies vertes qui renforcent son leadership économique et moral. Sa dépendance à l’énergie nucléaire lui confère une autonomie énergétique.
  • La France peut être à l’avant-garde du virage environnemental de l’Europe vers la durabilité grâce à ses capacités nationales et à ses préférences pour les solutions collectives.
  • Son modèle économique dirigiste est propice à la politique industrielle de la transition environnementale, contrairement aux économies atlantistes du laissez-faire.

En adaptant avec souplesse les principes français classiques aux nouveaux défis, les penseurs géopolitiques contemporains visent à guider la stratégie de la France dans un siècle incertain et en proie à des turbulences.

Critiques de la géopolitique française

Malgré ses contributions académiques pionnières, l’école française a fait l’objet de nombreuses critiques :

  • L’anglocentrisme la rejette comme des « caricatures » abstraites dépourvues de pragmatisme britannique et américain ou de rigueur quantitative.
  • Les penseurs allemands la qualifient de spéculation gauloise semi-mystique, l’opposant à leur Kratropolitik systématique (la politique des forces).
  • Les marxistes critiquent sa focalisation idéaliste sur la culture, l’identité et le discours sans intégrer la classe, le capitalisme ou l’exploitation.
  • Les libéraux y voient une pseudoscience réactionnaire encline à des récits illibéraux, xénophobes et nationalistes.
  • Les postmodernistes comme Jacques Derrida déconstruisent son iconographie comme des représentations instables et contestées du pouvoir plutôt que comme des vérités objectives.
  • Ils l’accusent également de perpétuer un raisonnement instrumental et calculateur au service du pouvoir de l’État plutôt que d’objectifs émancipateurs.
  • Les universitaires féministes et minoritaires condamnent ses superpositions patriarcales, colonialistes, orientalistes et racialistes en faveur des perspectives occidentales masculines blanches.
  • Les théoriciens verts soutiennent qu’il ignore la durabilité environnementale et perpétue un développementalisme anthropocentrique destructeur.
  • Et d’autres écoles, comme le réalisme anglo-américain, rejettent ses cadres civilisationnels généraux comme obscurcissant le calcul de l’intérêt.

Mais la longévité de l’école française montre à quel point le raisonnement géopolitique conserve de la valeur pour la stratégie de l’État. Et sa rigueur méthodologique et son innovation conceptuelle laissent des empreintes académiques durables.

La pertinence de la géopolitique française

Malgré les critiques récurrentes, la tradition française reste pertinente en :

  • S’attaquer à des questions récurrentes telles que le pouvoir national, l’identité, les frontières et les intérêts façonnés par la géographie.
  • Fournir une vision stratégique française autonome pour contrer la domination anglo-américaine.
  • Conceptualiser les structures géohistoriques à long terme plutôt que la politique contingente.
  • Se concentrer sur les questions persistantes du pouvoir foncier, du contrôle territorial et des rimlands que la géopolitique classique éclaire.
  • Intégrer les critiques postmodernes du positivisme et du pouvoir dans de nouvelles interprétations constructives.
  • Explorer les relations entre les échelles spatiales régionales, nationales et mondiales.
  • Analyser les implications stratégiques de la mobilité humaine et des migrations.
  • Classer les États, les régions et les continents en fonction de leurs orientations géographiques distinctes.
  • Synthétiser diverses disciplines académiques dans une approche interprétative holistique.
  • Vérifier les perspectives de spécialistes trop étroites en reliant le passé, le présent et l’avenir géopolitiques.
  • Aider à la formulation de la grande stratégie et de la politique étrangère grâce à la compréhension géohistorique.

Par sa vitalité intellectuelle, sa rigueur méthodologique et sa pertinence politique, la géopolitique française continue d’apporter de précieuses contributions scientifiques qui s’appuient sur son héritage et le réinterprètent pour les nouvelles conditions.

Conclusion

L’école française de géopolitique a mis au point un appareil conceptuel sophistiqué pour comprendre comment la géographie façonne le comportement politique et le pouvoir national au fil du temps. Elle a émergé à travers la géographie régionale pionnière du 19ème siècle de Vidal de la Blache et la philosophie humaniste de Reclus. Cela a jeté les bases de figures ultérieures comme Mahan, Mackinder et Spykman associées au navalisme anglo-américain et aux théories du cœur eurasien. La tradition française a atteint sa maturité grâce à des penseurs novateurs de l’entre-deux-guerres comme Demangeon et Ancel qui ont interprété la géostratégie à travers les concepts de puissance terrestre et de tellurocratie. La méthodologie révolutionnaire de longue durée de Braudel a mis l’accent sur la géographie par le biais du long terme historique. Cela a inspiré des chercheurs contemporains comme Foucher et Chauprade à mettre à jour la géopolitique française pour les contextes du XXIe siècle de perturbations technologiques, de pressions migratoires et d’unipolarité américaine en transition vers un nouveau système multipolaire complexe.

L’école française a apporté des contributions durables telles que : mettre l’accent sur des réalités géographiques cohérentes plutôt que sur le déterminisme environnemental ; développer le concept de régions en tant qu’aires géographiques et culturelles intégrées ; concevoir de nouvelles méthodologies telles que des monographies détaillées et la géohistoire ; reconnaître l’importance des rimlands et des dyades spatiales comme la thalassocratie par rapport à la tellurocratie plutôt que les dichotomies simplistes Est-Ouest ; l’intégration de perspectives critiques et postmodernes sensibilisant la géopolitique aux questions d’identité et de discours ; et l’élaboration d’une approche multidisciplinaire influencée par les sciences humaines intégrant l’histoire, la culture, la cartographie, l’ethnologie et d’autres angles pour enrichir l’analyse politico-stratégique.

Cette tradition a des limites telles que des facteurs matériels insuffisants, un historicisme trop spéculatif, des tendances romantiques et des hypothèses universalistes discutables. Elle peut bénéficier de l’intégration des points de vue économiques, environnementaux et technologiques. Mais dans l’ensemble, l’école française fournit un paradigme alternatif précieux pour la stratégie et une vision du monde perspicace synthétisant divers courants des sciences sociales dans une approche géopolitique holistique qui continue de s’avérer utile pour l’art de gouverner et la politique malgré la mondialisation. Sa souplesse conceptuelle et son pluralisme méthodologique soutiennent la vitalité de l’école française en tant que centre indépendant de la pensée géopolitique contestant la domination anglo-américaine dans ce domaine.

Références

Ancel, Jacques. 1938. Géopolitique. Paris: Delagrave.

Braudel, Fernand. 1949. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. Paris: Colin.

Brunet, Roger. 1990. “Le déchiffrement du Monde.” In Brunet 1990, 9-14.

Chauprade, Aymeric. 1999. Géopolitique : Constantes et changements dans l’histoire. Paris: Ellipses.

Demangeon, Albert. 1920. Le Déclin de l’Europe. Paris: Payot.

Der Derian, James. 2009. Critical Practices in International Theory. London: Routledge.

Foucher, Michel. 1986. L’invention des frontiers. Paris: Fondation pour les études de défense nationale.

Foucher, Michel. 2007. L’obsession des frontières. Paris: Perrin.

Gottman, Jean. 1952. La Politique des États et leur Géographie. Paris : Armand Colin.

Lacoste, Yves. 1976. La Géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. Paris: Maspero.

Reclus, Élisée. 1905. L’Homme et la terre. Paris: Librairie universelle.

Thual, François. 1995. Les Conflits identitaires. Paris: Ellipses.

Vidal de la Blache, Paul. 1921. Principes de géographie humaine. Paris: Armand Colin.

Ó Tuathail, Gearóid. 1996. Critical Geopolitics: The Politics of Writing Global Space. Minneapolis: University of Minnesota Press

SAKHRI Mohamed

Je suis titulaire d'une licence en sciences politiques et relations internationales et d'un Master en études sécuritaire international avec une passion pour le développement web. Au cours de mes études, j'ai acquis une solide compréhension des principaux concepts politiques, des théories en relations internationales, des théories sécuritaires et stratégiques, ainsi que des outils et des méthodes de recherche utilisés dans ces domaines.

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